Je
ne sais pas, regarde, c’est terrible comme il pleut. Il pleut
tout le temps, dehors épais et gris, ici contre le balcon avec
de grosses gouttes dures et figées qui s’écrasent
comme des gifles l’une après l’autre, quel ennui.
Voici une petite goutte qui naît en haut du cadre de la fenêtre,
elle tremble contre le ciel qui la brise en mille reflets assourdis,
elle gonfle et vacille, elle va tomber, elle ne tombe pas, pas encore.
Elle s’accroche de toutes ses griffes, elle ne veut pas tomber
et on la voit qui s’agrippe avec ses dents tandis que son ventre
enfle, c’est à présent une énorme goutte
qui pend majestueuse et soudain youp ! la voilà partie plaf
! plus rien, écrasée ; une tache humide sur le marbre.
Mais il y en a qui se suicident et se rendent tout de suite, elles
naissent du cadre et se jettent aussitôt dans le vide, il me
semble voir la vibration du saut, leurs petits pieds qui se décollent
et le cri qui les grise dans ce néant de la chute et de l’écrasement.
Tristes gouttes, rondes gouttes innocentes. Adieu gouttes. Adieu.
Julio
Cortazar