Il
n’était plus très jeune. Ni très riche.
Ni célèbre, ni adulé, ni très beau non
plus.
Seul si. Isolé aussi. Il rencontrait souvent du mépris
dans le regard des inconnus mais il le troquait aussitôt par
un de ses sourires si doux, sans effronterie ou fierté mal
placée, le sourire d’un vieil homme qui sait qu’il
va mourir bientôt, sans regrets. C’était ça,
un miroir rieur, en réponse aux visages grimaçants et
pétris d’intolérance sourde et vulgaire.
Il habitait au bout de l’impasse. Personne n’aurait pu
imaginer qu’une si belle âme vive dans ce savant désordre.
La mélodie usante des rails de métro, l’air chargé
de particules grisâtres, les sacs plastiques abandonnés
qui s’envolent librement en traçant dans les airs des
courbes narquoises, les signatures à la bombe marquant le passage
d’artistes somnambules, les débris presque centenaires
et les chaises éventrées, les cages d’oiseaux
abandonnées, l’étroite impasse répudiée
par les rayons du soleil…tout semblait figé comme recouvert
d’une lourde et goudronneuse couche de glue.
Mais ce qui frappait quand on pénétrait sa demeure,
c’était l’harmonie. Dans l’espace exigu cohabitait
joyeusement soixante-dix-huit ans de souvenirs, bien rangés
par famille de sentiments. Les souvenirs de famille, les souvenirs
amoureux, les souvenirs de guerre, les souvenirs d’un homme
autrefois respecté. Les vieilles personnes ont parfois ce don
extraordinaire lorsque la vie évolue à une vitesse ahurissante
de s’extraire du temps, de s’en affranchir en laissant
une place confortable et rassurante aux chers fantômes du passé.
Lorsqu’il en parle, la nostalgie submerge parfois trop l’esprit,
faisant tressauter les petites veines bleutées de sa main fripée
qu’il referme en mettant ses dernières forces dans la
mienne ; je l’envie d’avoir déjà tant vécu.
L’important, dit-il, c’est d’avoir eu deux grands
amours dans sa vie. Quelles qu’en soient les circonstances.
Après peu importe les jours qui s’accumulent. Un jour
tu as vieilli mais les moments de passion pure, polis par les années,
sont si brûlants que tu peux fermer les yeux. Et sourire…à
la vie.